L'Italie la nuit, Jean Védrines


Une interpellation dans la grande gare de Termini, et voici que les Pouilles surgissent dans tout leur éclat brutal et leur poésie chantante, dans la douleur de l'exil et de l'abandon.


"Chez nous à Foggia, les gens parlent lent, c'est sûr, et bien long, infini dans leurs phrases, leurs histoires : la chute, la clef d'une anecdote, on les repousse au lendemain, à la semaine, à la saison. Mais personne ne noie ses petits mots, ne trempe ses voyelles - des belles filles, blanches et brunes, blondes et dorées, dans l'écume sale, la moiteur saumâtre de la mer épaisse, brouillée. Ce qu'on parle ici ressemble à de l'italien vif et clair, tout de même, et se comprend mieux que le romain rugueux, sonore, des Borghetti, ou le napolitain nasillard, ricaneur".

Foggia, son locale avec "patron-bedaine" et habitués, ses querelles de campaniles, sa galerie de personnages plus vrais que nature qu'on entend parler au sens propre, et les Pouilles, les Pouilles, les Pouilles sous toutes leurs coutures, "la lumière, ce ciel bleu sombre, cet éblouissement grec", ses "routes rectilignes, des droites infinies, irréelles".

Une petite déception, avec une lecture qui se termine sur un sentiment mitigé, pour ce bouquin pourtant repéré de longue date.

Il y a d'abord ce titre époustouflant. Il y a ensuite le style, éblouissant, le prodige d'une langue inventive et qui restituerait presque l'italien - on a quasiment l'impression d'une traduction - j'en retrouve mon père ! La réussite de l'écriture tient à la transcription littérale de  l'oralité gouailleuse du Sud, évoquant les gourmandes traductions de Camilleri par Quadruppani.

Pourtant, l'affaire est plutôt déroutante ; une difficulté à démarrer véritablement la lecture, puis finalement à y entrer tout à fait, du fait d'une structure éclatée, fragmentaire, qui perd un peu son lecteur dans les méandres d'un récit décousu, qui a le charme de l'anecdote où l'on croise aussi bien Visconti que Frédéric II, Benedetto Croce ou Antonio Gramsci (quels raconteurs d'histoires que ces Italiens !), mais pas celui de la cohérence et du livre "bon compagnon de lit".

Ce qui n'empêche pas de se régaler des sublimes descriptions d'un Mezzogiorno qui me manque déjà ... "Matera se souvient de ses saints, de ses ermites au rocher. C'est la seule ville d'Italie qui n'a pas besoin de curés, de cardinal à Mercedes noire et pompons violets, de bonnes sœurs en jupon et cornettes pour faire ses prières, son rosaire : les ruines chantent ! Puisque les bonshommes ne sont plus capables de rien, les sassi, les murs cassés, le pierrier des rues abandonnées soufflent des bouts de sainteté, bribes fortes, répétées, et la rivière bouillonne, siffle, gronde, mouline son murmure grave ou fait tinter ses clarines froides, argentines, envolées. Une grâce, cette ville, cette rocaille !"


Une lecture dans le cadre de mon "Objectif lune".

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