Le grand sommeil, Raymond Chandler


"J'étais correct, propre, rasé, à jeun, et je m'en souciais comme d'une guigne. J'étais, des pieds à la tête, le détective privé bien habillé. J'avais rendez-vous avec quatre millions de dollars" (page 9)

J'avance toujours doucement dans Le printemps du polar, avec cette fois-ci un roman mythique de l'histoire du roman policier.

Dans l'ambiance délicieusement vintage de la Californie des années 1930, les dames portent des gants et des revolvers à crosse de nacre, et les policiers des imperméables et des chapeaux mous.

"Elle se leva lentement, et s'approcha en ondulant dans sa robe noire collante de tissu mat. Elle avait de longues cuisses, et elle marchait avec un certain petit air que j'avais rarement remarqué chez les libraires. Elle était blond cendré, les yeux gris, les cils faits, et ses cheveux en vagues arrondies découvraient des oreilles où brillaient de gros boutons de jais. Ses ongles étaient argentés. Malgré son attirail, elle devait être beaucoup mieux sur le dos.
Elle s'approcha de moi en déployant un sex appeal capable d'obliger un homme d'affaires à restituer son déjeuner, et, secouant sa tête, remit en place une boucle de cheveux doux et brillants ... pas très dérangée d'ailleurs. Elle eut un sourire hésitant qu'on n'aurait pas eu de mal à rendre aimable" (page 38).

Philip Marlowe, ex-flic reconverti en privé, est contacté par le richissime général Sternwood, un vieillard infirme qui a fait fortune dans le pétrole. Le général a en effet de nombreux problèmes avec ses deux filles quelque peu agitées ; il se voit contraint par un maître chanteur de régler les dettes de jeu de Carmen, la cadette, et charge Marlowe d'en savoir plus sur son créancier, Geiger ... mais celui-ci vient d'être assassiné, et son corps a mystérieusement disparu. Derrière cette enquête de routine se profile une intrigue plus complexe, et l'intrigue n'est pas là où on l'attend ...

On lit là un grand roman noir, un style auquel Chandler a largement contribué à donner ses lettres de noblesse. Novateur en son temps, Le grand sommeil est l'un des monuments du patrimoine du polar. Philip Marlowe en est même devenu un archétype du "privé", rusé, cynique, et capable de démêler les intrigues à tiroirs.

Un univers en soi, donc, admirablement rendu par la traduction de Boris Vian, avec des accents qui ne sont pas sans rappeler J'irai cracher sur vos tombes. Il faut aimer, certes ... mais moi j'aime bien !

"- Vous avez des manières délicieuses avec les femmes.
- J'ai beaucoup aimé vous embrasser.
- Vous ne perdez pas du tout la tête. C'est tellement flatteur. Dois-je vous féliciter ? Vous ou mon père ?
- J'ai beaucoup aimé vous embrasser.
Sa vois devint un filet glacé.
- Emmenez-moi d'ici, si ça ne vous dérange pas. Je suis persuadée que je serai très bien chez moi.
- Vous ne voulez pas être une soeur pour moi ?
- Si j'avais un rasoir, je vous couperais la gorge ... juste pour voir ce qui sortirait." (pages 223-224)

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