Privé de titre, Andrea Camilleri


Où il ne fait pas bon, lorsqu’on est un maçon communiste, se promener la nuit dans les ruelles obscures

Où il vaut mieux avoir l’ouïe fine si l’on veut faire éclater la vérité

Où le Duce pose la première (et dernière) pierre de Mussolinia, cité modèle en Sicile et où il égare son chapeau melon

Où être anti-fasciste ne signifie pas manquer d’humour



L’incipit


« A la mi-avril 1941, maître Francesco Mormino, du Barreau de Giurgenti et professeur de culture militaire au lycée Empedocle, entreprit, dûment autorisé s’entend par monsieur le proviseur, une tournée des popotes, pour exposer dans chaque classe (j’étais alors en seconde), le pourquoi du comment du grand rassemblement des jeunesses fascistes à Caltanissetta, le 21 du mois »


Comment en suis-je arrivée là ?


J’achète toujours Camilleri les yeux fermés ; c’est toujours le gage de deux à trois heures de délassement garanti pimenté de malice, de truculence et d’humour. De plus, maintenant que je suis lancée dans mon challenge « un mois en Italie », sa lecture est toute indiquée.


De quoi s’agit-il ?


Camilleri, personnage sicilien à part entière, écrit deux catégories de romans. La série des Montalbano d’abord, des polars hautement recommandables où il montre le visage d’une sorte d’Izzo bon vivant et optimiste, avec un commissaire des plus attachants qu’on finit par avoir l’impression de connaître. Et puis il y a les autres, des romans qu’il écrit à partir de recherches menées dans les archives, qui ont lieu au XIXe siècle … ou dans les années 20, comme celui-ci.


On est en Sicile, en 1921. Les fascistes ne sont pas encore au pouvoir, mais l’Italie traverse une période d’agitation politique marquée par de violents affrontements entre les chemises noires et les communistes. Michele Lopardo, maçon communiste, est pris dans une rixe avec des membres de la Ligue anti-bolchevique ; le jeune Lillino meurt, touché par un coup de feu. Michele est accusé, et le meurtre est instrumentalisé par les fascistes.


La citation


Michele tenta un sourire qui ne fut qu’une grimace. « Tire pas peine, va, Libirtì. Dès que Mussolini n’aura plus besoin d’eux, c’est eux qui le prendront là où tu penses. Et ensuite, jour après jour, c’est l’Italie toute entière qui se fera enculer » (p. 197).


Ce que j’en ai pensé


On se délecte comme toujours de la prose camillerienne. C’est entre autres lié à la langue – j’ai honte, car je devrais le lire, si j’étais moins paresseuse, en langue originale – mais il faut reconnaître que les traducteurs sont admirables (quoique je préfère celle de Quaddrupani, qui est assez différente, ce qui m’a un peu désorientée au début). Le récit est très rythmé, avec des chapitres courts, et entrecoupés d’articles de presse ou de documents divers, et dégage une énergie incroyable qui caractérise bien Camilleri. Le titre, qui ne prend son sens que dans les dernières pages, traduit une belle réflexion.



Paru en 2005 en Italie, 2007 en France – Livre de Poche – 6,50 euros – 278 pages.


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