De la poudre aux moineaux, Claudie Gardon et Eva Sautel - Il était un poilu niçois


"C'était la première fois qu'il quittait Nice."

Henri a tout juste vingt ans. Il vit avec sa famille sur la colline de Fabron, et a les plaisirs simples de la jeunesse de la Belle Epoque : les repas de famille, les promenades, le skating, les amourettes, et bien sûr les copains, avec qui il fête dans les hauts lieux de l'hédonisme niçois son départ pour Toulon et le service militaire.

Expérience initiatique s'il en est. Celle où l'on grandit, où l'on forge de solides amitiés, celle où, pour tromper l'ennui, Henri devient élève-caporal. Mais c'est l'été 14, et soudain c'est la guerre. "Cette fois, on ne cherchait plus à faire d'eux des hommes, mais des armes prêtes à servir."

Et voici que le roman, du récit, bascule dans l'épistolaire, comme pour mieux marquer cette rupture, et cette distance. Henri et son régiment sont envoyés au front. En bon fils, il écrit fréquemment à ses parents, à qui il cache beaucoup. Mais il s'entretient aussi très souvent avec sa sœur Flora, dont il est très proche, ou avec son amoureuse Gaby, à qui il dévoile les horreurs de la guerre, la fatigue, la violence, et, de plus en plus, la lassitude. "La règle du jeu semblerait plutôt simple, à qui voudrait bien nous voir ici entassés : le dernier vivant aura le droit d'en sortir. " Mais, même désespéré, Henri continue à écrire, non sans un certain humour (potache, ou plus noir, voir son authentique poème "Comment ne pas s'en faire"), il continue à aimer, jalouser, déprimer, angoisser, blaguer : bref, c'est un garçon vivant, qu'on apprend à connaître et à aimer au fil du récit, et qui semble au final étrangement familier.

Car loin des "lettres de poilus" et autres témoignages "bruts", ce qui fait la force de cette lecture, c'est bien la contextualisation des lettres et de l'expérience de guerre. Henri n'est pas un poilu, c'est un tout jeune homme qui quitte à peine le cocon familial et les plaisirs de l'enfance. Avec un minutieux travail d'archiviste familiale et d'historienne, les deux auteures parviennent à faire littéralement revivre Henri et à incarner la tragédie de sa jeunesse sacrifiée, une parmi des millions d'autres. Entre la nostalgie patinée des vieilles photos de famille et la construction, très fine parce que polyphonique et non strictement chronologique, le lecteur se laisse happer par une tension dramatique savamment dosée, et sort forcément ébranlé du roman.

Bien plus qu'une reconstitution, une aventure vibrante ... et hautement recommandable.

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