Poussière rouge, Gillian Slovo


 1985, une des années les plus noires de l'apartheid. Alors que le régime est déjà ébranlé par les émeutes répétées dans les townships et une réprobation internationale croissante, il s'arc-boute e répond aux revendications de liberté par une répression accrue. Le fils des Sizela est victime de cette féroce violence et disparaît, sans que son corps ne soit restitué à ses parents.

"Bien sûr. Pieter savait maintenant pourquoi il s'était réveillé en sursaut. C'était cette foutue Commission Vérité et Réconciliation qui arrivait en ville, pour tout remuer et entretenir la fureur de Sizela."

Dix ans plus tard, la nouvelle Afrique du Sud est, en théorie, une "nation arc-en-ciel". Pour que la transition ne vire pas au bain de sang, le gouvernement met en place la Commission "Vérité et Réconcilation", censée promouvoir, par ses enquêtes, le fondement d'une société post-apartheid apaisée. Ben, avocat militant réputé mais mourant, fait appel à Sarah, son ancienne élève désormais procureure à New-York, pour élaborer une stratégie destinée à obtenir des informations sur la mort de Steve Sizela, en échange du témoignage d'Alex, à propos d'une affaire voisine.

Très vite il apparaît que les affaires sont inextricablement liées, qu'Alex, malgré son statut de victime et de héros de la communauté noire, cache quelque chose, et que les ex-policiers de l'apartheid ne sont pas prêts à faire amende honorable, fut-ce pour éviter la prison. La tâche de Sarah n'est pas si aisée, elle qui doit défendre Alex, lequel semble entretenir avec son ancien geôlier une relation plus que troublante.

Mais si l'esprit et le principe de la commission sont louables (amnistie des crimes de l'apartheid contre vérité pour les victimes), son action n'en soulève pas moins une foule de problème juridiques et éthiques, ne serait-ce que parce qu'elle n'apporte pas de réparation, et entretient les haines recuites et les tensions communautaires.

"Le silence. Il leur avait été familier autrefois. Un silence né d'abord de la crainte que l'homme le plus âgé inspirait à Dirk et qui, graduellement, d'une compréhension mutuelle avait fini par devenir une véritable amitié. Un silence qui avait aussi trempé dans les jours de sang, une façon d'échapper à tous ces mots hurlés dans la fureur. Un silence qui n'était plus possible, parce que dans les sables mouvants des temps nouveaux, même si les mots étaient durs, les choses non dites qui rôdaient sous la surface étaient bien plus dangereuses encore."

Quoique je sois peu friande du style judiciaire, Poussière rouge émeut. Par la fille de deux célèbres militants anti-apartheid (son père a été leader du PC sud-africain et avocat de Mandela dans les années 1960), le roman de Gillian Slovo prend presque la forme d'une fable à propos de l'Afrique du Sud contemporaine, et, plus largement, des questions de responsabilité et de culpabilité, sur le plan individuel et collectif. Malgré une écriture (ou une traduction ?) un peu lourde, Poussière rouge se révèle finalement bien plus complexe qu'il n'y paraît, révélant les contradictions d'un pays en pleine reconstruction, dont le rapport au passé, au travers de la métaphore de la jeune femme émigrée puis de retour, est questionné sans concession.

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