L’hiver 43 est rude sur le front de l’Est
parmi les volontaires franquistes de la division Azul. Et ce qui domine, c’est
le froid, un froid polaire, le froid partout, et le froid toujours, jusqu’aux
os.
Glacée l’atmosphère. Seul le café chaud
paraît salvateur : « Il but une
gorgée stimulante, et retint le liquide sur sa langue ; la chaleur du café
mélangé à l’alcool le conforta dans son opinion que n’importe quel coin de l’univers
était un peu plus fréquentable avec une tasse à la main. » Les Espagnols
de la division Azul n’y sont guère accoutumés à ce froid. C’est lui pourtant
qui conserve le corps atrocement mutilé d’un jeune soldat vraisemblablement
assassiné, par un meurtrier qui a gravé « Prends garde, Dieu te regarde »
dans la chair de son cou. Arturo, dont la présence sur le front russe demeure
mystérieuse mai paraît relever de la punition, est chargé d’une enquête plus
que délicate dans le contexte militaire du moment.
Glacial ensuite le cul de sac dans
lequel se trouve piégée la division Azul. Ignacio del Valle entraîne son lecteur dans un voyage halluciné, sur un champ de bataille de l'absurde, au coeur de l'enfer du siège de Leningrad. « Sous
son emprise, entouré d’un halo glacial se détachant sur un ciel clair, Mestelevo
patientait, tendu par l’attente ; on parlait d’une concentration de plus
de quarante mille Russes, de centaines de pièces d’artillerie, d’orgues de
Staline, et de nombreux chars d’assaut T-34 et KV-1 dans le saillant de Kolpino
près de Krasny Bor, prêts à les dévorer corps et âmes. L’imminence de l’attaque
et la proportion de trois contre un se reflétaient dans l’activité incessante
de la Division dont la sérénité était cependant impressionnante ; des
hommes extraordinairement jeunes renforçaient les tranchées et nettoyaient
leurs armes avec tout le calme dont avaient fait preuve les Spartiates au
défilé des Thermopyles, du moins tels qu’Arturo les imaginait. » C’est
la fin du monde ou presque, comme dans l’excellent Deux dans Berlin, mais c’est une apocalypse qui se joue dans un
registre différent. Outre un contexte historique passionnant (l’enlisement des
troupes alliées aux Nazis sur le front de l’est, et le début d’un
retournementde situation en faveur des Russes, un de ces instants où l’histoire
semble basculer), on trouvera dans Empereurs
des ténèbres de vraies qualités d’écriture, empreintes d’une certaine
poésie qui sait éviter avec finesse l’écueil d’une hypothétique esthétique de
la violence.
Glaçante enfin la confrontation avec l’horreur
de l’extermination par balles sur le front oriental. « Tant de morts en si peu de temps … cela restait toujours aussi
incompréhensible, sans pour autant exclure une fascination maladive. »
Car Empereurs des ténèbres est bien
plus qu’une enquête policière : celle-ci apparaît rapidement comme le
prétexte d’une réflexion éthique, lucide et exigeante, envoûtante et en même
temps assez terrifiante. « Dans la
bulle de temps qui se forma, Arturo les observa tous, Kehren, Hilde, les SS :
l’indolence de leurs regards, qu’il avaient déjà remarquée chez l’Einsatzgruppe,
donnait l’impression que leur cerveau était toujours en retard sur leurs mains.
Et il comprit que c’était eux, les nouveaux empereurs. Etranges pour eux-mêmes
et pour le monde, n’ayant aucune notion du passé ou de l’avenir ; des
enfants égoïstes et solitaires jouant sous le cil infiniment pur de la cruauté,
tuant sans haine, sans raison, inaugurant ainsi pour le monde une époque
implacable. »
Pas loin d’être magistral, avec une
envie certaine de lire le second volet, Les
Démons de Berlin.
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