"seigneur, je naquis de nouveau en cette année dont je ne savais rien, en cette heure d'équinoxe sur mon île oubliée, sans doute à l'instant même où j'éprouvais le sentiment de m'insinuer entre deux masses de lumière". Chamoiseau propose une relecture époustouflante de Robinson Crusoé, ce livre "resté ouvert comme une lumière dans [sa] mémoire."
"après toutes ces années, je peux dire que là j'étais heureux, sans espérantouille vaine, sans la gale d'un regret, juste impeccable dans mon ordonnance souveraine de cette rognure de terre". Robinson est naufragé depuis fort longtemps, et il survit en son île grâce à une foule de rituels qui lui permettent de sauvegarder sa raison. Tantôt aux abords de la folie, tantôt bien au-delà, sauvé par la lecture d'Héraclite et Parménide, Robinson poursuit son monologue intérieur au sein d'une très longue phrase, porté par un seul long souffle comme un courant de conscience, mais un souffle rythmé par le ressac, comme une longue respiration, sous-tendue par la langue succulente de Chamoiseau.
"cette obsession modifia le rapport que j'entretenais avec l'île alors que j'avais passé ces vingt dernières années à la mettre à distance, à la tenir pour ainsi dire en respect, je commençais à mieux accepter d'être en elle, d'être à elle, et qu'elle soit en moi-même ; l'idée seule de la perdre - pauvreté de la nature humaine ! - me la rendait désirable et précieuse". Tour à tour piège mortel ou jardin d'Eden, l'île est un personnage à part entière ... sinon LE personnage du récit, si on la considère dans son lien intrinsèque avec l'homme-île qui l'habite et l'aménage. Du désespoir terrifié des débuts jusqu'à la fierté du bâtisseur, d'ennemie l'île devient accueil et support d'une renaissance à soi-même dans une dilatation extrême du temps.
Tout le récit s'organise autour de la découverte d'une empreinte sur la plage qui fait vaciller la raison de Robinson et donne son titre à l'ouvrage "... et chaque orteil ruait dedans mon entendement comme autant d'alarmes, de haines, de colères, de menaces, le tout pourtant mêlé à la bouffée inexplicable d'un enthousiasme terrifiant : c'était une empreinte d'homme"
La "tempête mentale ininterrompue, proche du délire" est rendue superbement par une syntaxe déroutante, sans point mais émaillée de points-virgules. Dans ce très beau texte construit à la première personne dans un subtil réseau d'échos, Chamoiseau cherche et trouve "l'essence même de l'homme vrai". Avec une fin surprenante en forme de chute réaffirmant l'universalité de la condition humaine au travers de la "situation Robinson", et un ouvrage qui se referme sur de magnifiques fragments offrant un autre point de vue sur la lecture et l'écriture de cette Empreinte à Crusoé. Empreint d'un humanisme et d'une humanité profonde, L'Empreinte à Crusoé est définitivement porteur d'un universel. En bref, un grand livre.
Un ouvrage de la sélection du prix France Océans.
"après toutes ces années, je peux dire que là j'étais heureux, sans espérantouille vaine, sans la gale d'un regret, juste impeccable dans mon ordonnance souveraine de cette rognure de terre". Robinson est naufragé depuis fort longtemps, et il survit en son île grâce à une foule de rituels qui lui permettent de sauvegarder sa raison. Tantôt aux abords de la folie, tantôt bien au-delà, sauvé par la lecture d'Héraclite et Parménide, Robinson poursuit son monologue intérieur au sein d'une très longue phrase, porté par un seul long souffle comme un courant de conscience, mais un souffle rythmé par le ressac, comme une longue respiration, sous-tendue par la langue succulente de Chamoiseau.
"cette obsession modifia le rapport que j'entretenais avec l'île alors que j'avais passé ces vingt dernières années à la mettre à distance, à la tenir pour ainsi dire en respect, je commençais à mieux accepter d'être en elle, d'être à elle, et qu'elle soit en moi-même ; l'idée seule de la perdre - pauvreté de la nature humaine ! - me la rendait désirable et précieuse". Tour à tour piège mortel ou jardin d'Eden, l'île est un personnage à part entière ... sinon LE personnage du récit, si on la considère dans son lien intrinsèque avec l'homme-île qui l'habite et l'aménage. Du désespoir terrifié des débuts jusqu'à la fierté du bâtisseur, d'ennemie l'île devient accueil et support d'une renaissance à soi-même dans une dilatation extrême du temps.
Tout le récit s'organise autour de la découverte d'une empreinte sur la plage qui fait vaciller la raison de Robinson et donne son titre à l'ouvrage "... et chaque orteil ruait dedans mon entendement comme autant d'alarmes, de haines, de colères, de menaces, le tout pourtant mêlé à la bouffée inexplicable d'un enthousiasme terrifiant : c'était une empreinte d'homme"
La "tempête mentale ininterrompue, proche du délire" est rendue superbement par une syntaxe déroutante, sans point mais émaillée de points-virgules. Dans ce très beau texte construit à la première personne dans un subtil réseau d'échos, Chamoiseau cherche et trouve "l'essence même de l'homme vrai". Avec une fin surprenante en forme de chute réaffirmant l'universalité de la condition humaine au travers de la "situation Robinson", et un ouvrage qui se referme sur de magnifiques fragments offrant un autre point de vue sur la lecture et l'écriture de cette Empreinte à Crusoé. Empreint d'un humanisme et d'une humanité profonde, L'Empreinte à Crusoé est définitivement porteur d'un universel. En bref, un grand livre.
Un ouvrage de la sélection du prix France Océans.
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