Les hommes-couleurs, Cloé Korman

"Ce chantier ne sert à rien, c'est juste un masque".

Un mystérieux chantier à la frontière mexicaine, dirigé par un ingénieur français et sa femme, les Bernache, qui sert de camouflage à la construction d'un oléoduc secret. "Il semblait que Georges et Florence Bernache avaient tout comme leurs hommes été engloutis par le chantier." Mais en réalité, ce chantier n'est pas à un chausse-trappe près, puisqu'il dissimule bien d'autres enjeux - trafic de pièces archéologiques qui se volatilisent, migrations clandestines, refuge d'opposants politiques - et paraît dévorer tous ceux qui l'approchent de près ou de loin, les perdant dans les galeries innombrables d'un plan délirant et tortueux de conte de fées, élaborant une société de front pionnier, d'un type tout à fait nouveau, organisé par quelques "hommes-couleurs".

"Le tunnel abritait le chagrin des hommes et leurs espoirs croissant continûment."

Piège mortel autant qu'horizon d'espérance, le tunnel qui étend progressivement ses complexes ramifications ne perd jamais, au cours du récit de Gris, l'un des ouvriers, son ambivalence symbolique et magique. Dans un roman à échos, aussi sinueux que le tunnel lui-même, aux réminiscences fortes, Cloé Korman investit le récit d'une écriture savoureuse, qui éclate comme un fruit mûr dans la sensualité de la chaleur du désert mexicain, ce qui en fait un roman incroyablement riche et profond, dominé par la poésie, lumineuse ou macabre.

"Vient l'époque où ils sont près du but. Mais l'autre pays qu'ils approchent, et qu'ils cherchent depuis si longtemps, ne leur ouvre pas des bras feuillus et tout chargés de fruits, ni même ne leur présente un front loyal ; il ruse et se dérobe."

Difficile dès lors de lâcher de roman pourtant difficile à certains égards et sans réelle continuité narrative. Savamment décousu, Les hommes-couleurs perdent et retrouvent successivement un lecteur désorienté, mais envoûté par ce lieu magique et secret, mise en scène géniale de la figure de la frontière.

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