Les heures silencieuses, Gaëlle Josse


"Je m’appelle Magdalena Van Beyeren. C’est moi, de dos, sur le tableau."

 Nous sommes au milieu du 17e. La Flandre est assise sur la prospérité que lui confère le commerce des épices précieuses dans la première mondialisation. Dans une ville cossue et dans un intérieur coquet et douillet, c'est un récit à la première personne que commence Magdalena, et qui prend la forme de la confession mélancolique d'une femme au soir de sa vie (rappelant un peu Le rêve de Martin).

Dans la lignée d'une Tracy Chevalier avec son envoûtante Jeune fille à la perle, voici un nouveau roman qui part des détails apparemment anodins d'un tableau d'Emmanuel De Witte : une enfilade de pièces, et une servante, au bout de la perspective, qui balaye un carrelage rutilant ; la clarté de l'hiver entrant par les fenêtres de droite, une femme, de dos, qui joue du clavecin, dans une chambre occupée sur la gauche par un lit et des affaires d'homme laissées en désordre sur une chaise. Un tableau qui respire l'ordre, et la modération qui s'impose aux maîtresses de maison convenable. Et pourtant il y a ce petit quelque chose qui évoque un Vermeer, pour qui chaque petit tableau est un récit dans lequel on se plonge tout entier.


Car dans cette existence étriquée ("Dans ses moments-là, ai-je assez maudit le sort de m'avoir fait naître fille !"), raisonnable et raisonnée, Magdalena regrette son adolescence, et les promesses contenues dans l'horizon de la mer et du port que semblaient lui chanter les mouettes lorsqu'elle bénéficiait encore de la liberté, accordée aux petites filles, de suivre son père : "Les premiers goélands aperçus, avec leur vol lourd et ample annonciateur d'océan me faisaient tressaillir. Leur cri comme une promesse de mer".

La trame est prenante, et l'on y entre sur la pointe des pieds, comme pénétrant, en intrus, dans l'intérieur de Madgalena. Le récit est mené avec la délicate finesse d'un tableau de maître flamand, au travers d'une écriture fluide et précise, mais il conserve un petit goût de trop peu. Malgré ses talents de miniaturiste, dommage que Gaëlle Josse n'exploite pas davantage ce beau filon, qui appellerait davantage de chair et de matière. Cela reste toutefois un moment de lecture plaisant.

"Avec le temps, ce sont nos joies d'enfants que nous convoquons le plus facilement dans nos souvenirs, elles nous accompagnent avec une rare fidélité. Retrouver ce que nous avons éprouvé dans ces moments demeure une source de félicité que nul ne pourra nous ravir. Le cours de nos vies est semé de pierres qui nous font trébucher, et de certitudes qui s'amenuisent. Nous ne possédons que l'amour qui nous a été donné, et jamais repris".

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