Le pouvoir du chien, Thomas Savage


Soit Phil et George, deux frères vieux garçons, riches propriétaires d'un gros ranch dans le Montana Un univers d'hommes, violent et impitoyable, d'où les doutes et la sensibilité sont exclus, la société à la moralité rigide de l'Ouest américain des années 1920, où l'on ne gagne sa vie "que de manière marginale et avec des efforts désespérés". Un monde où il fait moins quarante l'hiver, et où le boeuf est roi chez les opulents éleveurs.

Introduisez dans ce monde fermé aux règles bien définies la délicate Rose, une jolie veuve de pas même cinquante kilos, restée seule après le suicide de son mari, un médecin idéaliste qui n'a pas survécu aux rudesses de la vie de l'ouest, qui épouse George, amenant avec elle Peter, son fils adolescent. Tout le monde pense de Rose qu'elle "ne durera pas longtemps".

Le fragile équilibre au sein de la maisonnée est dès lors bouleversé. Très vite, une tension s'installe, d'abord insidieuse, puis de plus en plus franche, avec l'hostilité ouverte de Phil pour Rose et Peter, qui devient rapidement insoutenable, dessinant les contours d'un huis clos sous pression. Le malaise progresse : "Quand Rose parlait de Phil, sa bouche devenait sèche, sa langue épaisse. Penser à lui dispersait tout ce qu'elle pouvait avoir d'agréable ou de cohérent à l'esprit, et la ramenait à des émotions infantiles". Et la corde tendue est destinée à rompre.

Thomas Savage déploie, dans Le pouvoir du chien, une finesse incroyable cachée derrière une grande simplicité. "La météorologie offrait toute une palette de sujets propices à la conversation, et, dès qu'on abordait ce domaine, les gens s'en emparaient avec un enthousiasme presque hystérique, comme si chaque invité devait s'exprimer et se soulager - avant que ce thème ne soit abandonné, vidé de toute vie et de toute force, en parlant des extrêmes de la température, de l'humidité, de la pluie, de la neige en flocons ou fondue, de la vitesse du vent, des bourrasques passées et à venir. Une fois la météo épuisée, la compagnie pouvait rester assise, muette, jusqu'à ce que le dîner soit annoncé par le carillon de porte que faisait tinter la jeune femme engagée pour le service. " Les personnages sont brossés dans leur complexité avec une économie de moyens impressionnantes ; certains sont inoubliables (le gouverneur, le fils du chef indien) quoiqu'il s'agisse de personnages très secondaires.

Des accents steinbeckiens, façon Des souris et des hommes, un côté Twani O'Dell aussi, un côté Annie Proulx évidemment (Brokeback Moutain), dans un style limpide et une construction parfaitement maîtrisée après un démarrage peut-être un peu poussif (mais que j'ai lu de manière très discontinue, ce qui est peut-être un facteur d'explication). La montée en puissance est magistrale et la psychologie toute en subtilité, dominées par Savage dans tous ses ressorts dramatiques. Une vraie claque, un chouette bouquin !

Commentaires

  1. Dans le Publisher’s Weekly du 2 janvier 1967, lors de la sortie du roman, parut le commentaire élogieux suivant :

    « Un roman puissant et nerveux qui, cependant, s’ouvre sur un premier paragraphe d’une brutalité si crue et si gratuite que bien des lecteurs en seront dissuadés de continuer. La scène se passe dans l’Utah de 1924. Sur un fond très rude de pays d’élevage, M. Savage tisse l’histoire de deux frères : George, lent, maladroit, intrinsèquement brave, et Phil, homosexuel refoulé. Lorsque George épouse une veuve et la fait venir au ranch, Phil lui mène une vie si infernale que la femme se met à boire en cachette. Puis Peter, le fils adolescent de cette femme, un garçon à la fois brillant et bizarre, vient passer l’été et se rend compte de ce qui se passe. Alors que Phil complote pour parvenir à une liaison homosexuelle avec le jeune Peter, celui-ci élabore, pour se venger de lui, un moyen si diaboliquement adroit qu’il fait froid dans le dos. Krafft-Ebing sur fond régional western, voilà qui présente un fort intérêt littéraire mais beaucoup moins d’attrait commercial. »

    Ce roman de Thomas Savage est absolument FABULEUX ! Le Montana, ses ranchs et ses cow-boys, l’immensité de ses plaines et la rudesse de son hiver. Je l'ai lu de-ça plusieurs années, mais son souvenir reste ancré en moi.

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    1. Merci d'avoir bien voulu partager ce document d'époque ! La brutalité, la nervosité, la subtilité ... c'est tout à fait ça. Un vrai choc, ma meilleure lecture depuis le début de l'année.

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