Des hommes, Laurent Mauvignier


"Il se demande si une cause peut être juste et les moyens injustes. Comment c'est possible de croire que la terreur mènera vers plus de bien. Il se demande si le bien."

"APRES-MIDI". Années 2000. Le roman s'ouvre sur le pot de départ à la retraite de Solange. Son frère Bernard dit "Bois-de-Feu", un marginal sans le sou, lui offre une broche somptueuse, provoquant un incident qui débouche sur une attaque raciste d'une violence inouïe et disproportionnée.

Je l'avoue, le début m'a donné un peu de fil à retordre. Je m'attends à un roman sur la guerre d'Algérie, et je tombe dans une anecdote sans rapport apparent, étirée en longueur (quoique l'écriture soit superbe ... presque trop pour des évènements "banals", ce qui crée un sentiment inconfortable de décalage).

"SOIR". Un cousin est convoqué par le maire, pour essayer d'aplanir l'incident. Ce cousin a été, tout comme Bernard, appelé en Algérie dans sa jeunesse. En évoquant le caractère de Bernard, il est amené à replonger dans des souvenirs qu'il aurait préféré tenir à l'écart.

"Et Rabut peut bien se retrouver assis au fond de son lit, avachi par les années et la famille, tous ces mariages, ces naissances, ces communions et ces gueuletons avec les anciens d'Afrique du Nord, les méchouis, la nostalgie de quelque chose perdu là-bas, peut-être la jeunesse, parce qu'à force, peut-être on embellit même les souvenirs qu'on préfèrerait oublier et dont on ne se débarrasse jamais, jamais vraiment ? Alors on les transforme, on se raconte des histoires, même si c'est bon aussi de savoir qu'on n'est pas tout seul à avoir été là-bas, et, de temps en temps, pouvoir rire avec d'autres, quand la nuit c'est seul qu'il faut avoir les mains moites et affronter les fantômes".

"NUIT". Et là, c'est la claque. On bascule, brusquement, dans la guerre. C'est puissant, bouleversant. C'est d'abord la bête horreur de la guerre. Mais c'est aussi l'incompréhension entre les hommes. Et l'épouvante de ces malentendus.

Tout y est. Les fellagas, les appelés et les Pieds-Noirs. La terreur, la résignation, la pitié. Les villages brûlés et les sentinelles égorgées. La torture et l'inconscience. L'ennemi invisible et l'OAS. Les Harkis : "Parce que tous les deux doivent serrer les mâchoires et savoir se taire lorsqu'ils entendent les gars parler des Arabes en disant des chiens, tous des chiens, rien que des chiens - et ils ne parlent pas des fells lorsqu'ils emploient ces mots-là, non, ils parlent des Arabes, comme si tous les Arabes, comme si. Et les deux harkis ne disent rien. Ils attendent. Ils regardent. Comme si eux seuls n'avaient pas oublié où ils étaient nés".

Un drame à l'antique sous le soleil de de l'Oranais et à l'ombre d'un passé qui, décidément, ne passe pas. C'est beau, violent, poétique et magistral. Une lecture qui participe au Challenge ABC 2012 !

Commentaires

  1. Bonjour, je suis venue faire un petit tour sur ton blog suite aux portraits des lecteurs officiels de M'y Boox. Je pense que nous aurons l'occasion de nous rencontrer au fil de nos chroniques. À bientôt

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