Démon, Thierry Hesse

Le démon du titre (ou plutôt les démons), ce sont ceux de Pierre, un journaliste dont le père, Lev Rotko, vient de se suicider en laissant derrière lui un épais mystère. Lev a perdu, étant enfant, ses parents pendant la seconde guerre mondiale. Il a toujours jeté, par la suite, un voile de silence sur cette partie de sa vie passée dans le Caucase.


Poursuivi par des démons familiaux, et cherchant à comprendre le destin de Franz et Elena, ses grands parents inconnus, Pierre décide d'assumer l'histoire familiale, de l'endosser presque. Il part brusquement, quitte Paris pour Grozny, comme s'il cherchait à faire l'expérience ultime de la désolation. Il y découvre la guerre, la peur et l'horreur de l'arbitraire, mais la vie, malgré tout, poursuit son cours tant bien que mal.

"A Grozny, la collecte des ordures avait depuis longtemps cessé, du moins de manière régulière. De nombreux détritus s'entassaient à l'extrémité des boulevards, sur la plupart des places, et même dans certaines cours d'école qui n'avaient plus connu d'élèves depuis les trois dernières rentrées. Ce désordre constituait pour les habitants une préoccupation mineure. Si leurs déchets empestaient l'air de manière continue, ils s'y étaient habitués. Un peu partout des remugles les suivaient, c'était le parfum ordinaire de la ville. Il y avait aussi ça et là des odeurs de gaz, d'incendie et de poudre noire, des odeurs de pétrole, d'essence frelatée, des odeurs d'urine et de déjections, des odeurs d'égout (car le réseau avait été en grande partie détruit), des odeurs de poussière et de fange, et puis des odeurs de mort" (page 335)

En partant de cette trame, Thierry Hesse nous balade à travers tout le XXe siècle (avec même des incursions plus anciennes), de la mort de Staline aux attentats du 11 septembre 2001, de la famine d'Ukraine à l'opération Barbarossa, de la guerre de Tchétchénie à la prise d'otages du théâtre de Moscou, des guerres caucasiennes de l'époque tsariste à la rafle du Vel d'Hiv'. Cet aspect du livre n'est d'ailleurs pas sans rappeler Waltenberg d'Hédi Kaddour. Par d'autres aspects, en particulier en ce qui concerne la quête personnelle de l'auteur sur les traces de ses grands-parents, le roman évoque Les disparus (un bijou de Mendelsohn, un des meilleurs livres que j'ai lu ces dernières années).

Ces promenades dans le temps et dans l'espace participent à une construction très spécifique ; malheureusement pour moi, j'ai lu ce livre en septembre, c'est-à-dire au milieu de moult soucis de rentrée, et donc de manière décousue (j'ai rarement mis un mois entier à lire à livre relativement court !), ce qui ne m'a pas vraiment permis d'entrer dans le rythme propre du livre. Je suis persuadée qu'une lecture plus resserrée est plus intéressante à mener. Prenant la forme d'un véritable voyage en enfer, le livre gagne sa force dans le rapprochement du génocide juif et de la guerre en Tchétchénie - c'est d'ailleurs, à ma connaissance, l'un des rares livres traitant de cette question tchétchène, hélas bien oubliée.

Un roman grave et très beau, dont mon petit doigt me dit qu'il pourrait plaire à Vincent D. !

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