Dépitée d’avoir égaré mon Hiver arctique dans le train, je me lance dans une nouvelle lecture, que je dévore littéralement en deux jours.
En fait j’ai assez peu lu Duras jusqu’à présent ; quelques lectures finalement assez éparses, Dix heures er demie du soir en été (très très bien), Des journées entières dans les arbres, Un barrage contre le Pacifique (Madeline, c‘est pour toi) et évidemment un souvenir magnifique des dialogues d‘Hiroshima mon amour … et je me rends compte que c’est bête, parce que j’ai toujours bien aimé. Voici donc une nouvelle étape dans ma découverte de Marguerite Duras.
La douleur est en fait un recueil de plusieurs textes courts : La douleur à proprement parler, Monsieur X dit ici Pierre Rabier, Albert des Capitales, Ter le milicien, L’Ortie brisée, Aurélia Paris, qui ont tous en commun de se dérouler entre 1944 et 1945. Ces récits traitent de différents aspects de la fin de l’occupation et de la Résistance : l’attente du retour des déportés dans La Douleur, les réseaux de résistance dans Monsieur X dit ici Pierre Rabier, l’épuration sauvage dans Albert des Capitales, Ter le milicien, les oubliés et les victimes dans L’Ortie brisée ou Aurélia Paris.
Le plus bouleversant est sans aucun doute La Douleur, qui revêt un caractère autobiographique (comme les trois récits suivants) puisqu’il s’agit d’un journal qu’une Marguerite Duras qui dépérit a tenu à l’issue de la guerre, dans l’attente du retour de son mari, Robert Antelme (l’auteur de L’Espèce humaine), déporté à Dachau suite à son arrestation par la Gestapo, après une dénonciation. « De Gaulle n’attend plus rien, que la paix, il n’y a que nous qui attendions encore, d’une attente de tous les temps, de celle des femmes de tous les temps, celle des hommes au retour de la guerre » (page 60).
Le récit commence par un texte écrit a posteriori, et qui donne d’emblée le ton : « je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment, auquel je n’ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m’a fait honte » (page 12).
Il s’agit là d’un aspect de la vie de Duras que j’ignorais complètement, je n’avais jamais su qu’elle avait activement participé à la Résistance (dans le réseau commandé par François Mitterand). Au-delà des aspects biographiques, le récit est sublime dans sa description des émotions et des tourments de l’attente. C’est brut, ce n’est pas « écrit » à proprement parler, mais c’est tellement juste ! « Je ferme les yeux. S’il revenait, nous irions à la mer, c’est-ce qui lui ferait le plus plaisir. Je crois que de toutes façons je vais mourir. S’il revient, je mourrai aussi » (page 39). Le tout dans son style si particulier, si clair, et si terriblement exact, si pertinent.
Un récit désespéré, écrasé par la peur et des sentiments contradictoires, mais aussi un récit profondément lucide, dont le ton se détache des écrits de la même période, notamment en ce qui concerne l’attitude face aux Allemands et au génocide. « Si l’on fait un sort allemand à l’horreur nazie, et non pas un sort collectif, on réduira l’homme de Belsen aux dimensions du ressortissant régional. La seule réponse à faire à ce crime est d’en faire un crime de tous. De le partager » (page 65).
Poignant et inoubliable.
Publié en 1985 - en poche chez Folio, 5,60 euros - 218 pages.
Oui je l'ai lu (un barrage contre le Pacifique) il y a de ça plusieurs années...
RépondreSupprimerJ'avais adoré ce livre et j'ai suivi Duras depuis. Comme toi, j'avais été très sensible à cette nouvelle.
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