Les mystères de Winterthurn, Joyce Carol Oates - Petits contes cruels


"Prêt à l'attaque, tendu jusqu'au bout des ongles, il s'avança tenant haut sa chandelle pour voir toute la pièce et s'imprégner de l'atmosphère - un mélange singulier de poussière, d'humidité, de vieillesse, de splendeur mélancolique, avec une légère odeur de sang."

Cela fait plusieurs années que je voulais poursuivre la trilogie gothique de la prolifique Joyce Carol Oates. Après Bellefleur qui m'avait glacé le sang - certaines scènes restant gravées très précisément dans ma mémoire - me voilà donc avec Les mystères de Winterthurn entre les mains. Et c'est, de loin, le meilleur Oates que j'ai lu depuis longtemps. Car, il faut le dire et le redire : le gothique, cela peut être de la bonne - de la très bonne - littérature (voir les excellents : Maudits, Nous avons toujours vécu au château, Le blanc va aux sorcières, L'indésirable).

Winterthurn est une petite ville américaine moyenne, au tournant du 19e et du 20e siècle, banale au possible. Enfin, à voir. Puisque les évènements mystérieux et/ou sordides s'y multiplient de manière inexplicable, autour de lieux qui paraissent maudits. "La vierge à la roseraie", "le demi-arpent du diable" et "la robe nuptiale tachée de sang" : trois récits en apparence indépendants, mais reliés par le fil rouge Xavier Kilgarvan, justicier idéaliste et exalté, qui enquête à Winterthurn à trois moments distincts de sa vie. Le roman s'ouvre sur une scène des plus curieuses : l'énigmatique et inquiétante Georgina parcourt, de nuit, cinq kilomètres à pied au coeur d'une tempête de neige, pour acheter de toute urgence de la chaux vive pour traiter ses rosiers ...

"Nous sommes à Glen Mawr, pensa-t-elle, non dans une auberge inconnue, Charleton et moi nous n'avons rien à craindre ... mais nous dormirons plus profondément en sachant que la pièce est barricadée de l'intérieur." Au manoir de Glen Mawr vivent trois soeurs, l'aînée, surnommée la Nonne Bleue, une vieille fille aux mœurs étranges élevant de façon odieuse ses deux jeunes demies-soeurs, l'une raisonnable et dévouée, l'autre d'une beauté vénéneuse, à l'ombre d'un père disparu mais omniprésent. Manoir où une cousine en visite, jeune mère, devient folle après que l'on retrouve à ses côtés son nourrisson égorgé dans une chambre close de l'intérieur. Mais le "demi-arpent du diable", une lande aride théâtre macabre de cinq meurtres de jeune fille d'une sauvagerie inouïe, n'est pas en reste. Pas plus que le cauchemardesque Hotel Paradise qui clôt la série des intrigues et boucle la boucle.

Avec une narration follement originale alternant récit et chronique, avec une construction narrative maîtrisée à la virgule près, et un usage affolant de l'italique, sans compter un sens diabolique des détails ! - Joyce Carol Oates distrait autant qu'elle parvient à brosser une satire sociale délicieusement perverse de l'Amérique des petites villes, avec son étroitesse d'esprit, ses mesquineries, ses préjugés de classe et de race,son sens corseté des convenances, son respect et sa confiance bien mal placés. Le tout sans glauque inutile, et avec une finesse assez incroyable. En bref un roman obsédant, qui déménage, difficile à lâcher ; qui peut sembler juxtaposer trois histoires distinctes, mais qui prend sens à la fin, autour de deux personnages : l'énigmatique Perdita et son cousin, sans compter des personnages inoubliables, comme le très ambigu Valentine.

Envoûtant en diable ! (Mais comment peut-elle écrire autant et aussi bien ?). SI vous avez aimé, vous retrouverez des qualités comparables, mais à une époque contemporaine s'appropriant les codes du roman de campus dans Les Revenants de Laura Kasischke, l'un de mes romans préférés.

"Ce n'est que la Mort, murmura-t-il ... la Mort, non la Vie ... Comment la Mort pourrait-elle te blesser, mon garçon ?"

Commentaires

  1. Je veux découvrir cette trilogie de Oates depuis un moment ainsi que "maudits"... carje ne connait que ses romans au cadre contemporain

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    1. Fonce ! J'ai vraiment adoré pour ma part. Ces romans-là sont d'une finesse et d'une perversité encore plus terribles !

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