Le Chardonneret, Donna Tartt




« L’imaginer enveloppé et scellé au nord de Manhattan me donnait la sensation de m’être autodétruit, d’être devenu une abstraction, comme si l’enterrer à l’abri des regards n’avait fait qu’accroître son pouvoir et lui avait conféré plus de vitalité, l’avait rendu plus terrifiant. »

Ce jour-là, le jeune Theo devait accompagner, penaud, sa mère a un rendez-vous chez le proviseur. Ce jour-là, pourtant, le minuscule tableau d’un maître flamand change sa vie à jamais, dès lors, que par un concours de circonstances terrible, il se retrouve en sa possession. La vie de Theo bascule autour de ce point de bifurcation, qui, comme le fatum des Grecs anciens, lui impose un changement de trajectoire radical.

D’une justesse bouleversante, d’une profondeur métaphysique étonnante, Le Chardonneret, sacré pavé avec ses plus de 1000 pages (mais Donna Tartt est une habituée du format) n’est pourtant jamais pesant, et se dévore quasi d’une traite. Explorant tour à tour l’adolescence, la culpabilité, la trahison, la désillusion, le deuil, avec une galerie de personnages extraordinaires, Le Chardonneret étourdit par la subtilité de sa construction – Donna Tartt n’aime-t-elle pas se définir comme une miniaturiste ? – avec pour leitmotiv la merveille de Fabritius, qui ressurgit dans les moments-clefs du récit et le porte tout entier, y compris par son absence. Le style ample et fluide est sous-tendu par un sens incroyable de la narration (la scène du musée, un morceau de bravoure !), et, au final, le roman laisse une impression éblouissante.

« Quand je ne pouvais le voir, j’aimais le savoir là à cause de la profondeur et de la solidité qu’il donnait aux choses, du renforcement de l’infrastructure, d’une précision invisible, de la justesse d’une assise qui me rassurait, tout comme il était rassurant, tout comme il était rassurant de savoir que, au loin, les baleines nageaient sans crainte dans les eaux de la Baltique et que des moines de mystérieuses zones temporelles psalmodiaient sans discontinuer pour le salut de l’humanité. »

En bref, un bijou. Et finalement une leçon lumineuse.

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