Sukkwan Island, David Vann

"L'île où ils s'installaient, Sukkwan Island, s'étirait sur plusieurs kilomètres derrière eux, mais c'était des kilomètres d'épaisse forêt vierge, sans route ni sentier, où fougères, sapins, épicéas, cèdres, champignons, fleurs des champs, mousses et bois pourrissant abritaient quantité d'ours, d'élans, de cerfs, de moutons de Dall, de chèvres de montagne, et de gloutons."

D'abord repéré par les fantastiques éditeurs de Gallmeister, Sukkwan Island est aujourd'hui en poche. J'ai hésité un moment avant de me lancer, car je ne suis pas, a priori, très nature writing. Et pourtant, j'ai dévoré en une journée ce roman qui m'a énormément plu et touchée.

"Le seul accès se faisait par la mer, en hydravion ou en bateau. Il n'y avait aucun voisin. Une montagne de six cents mètres de haut se dressait juste derrière eux."

Roy, un adolescent revêche et taciturne, mais dans le fond assez gentil, s'est installé, pour un an, sur Sukkwan Island, une île déserte d'Alaska où son père divorcé a fait l'acquisition d'une petite cabane. Pour le dentiste, Jim, qui a pris une année sabbatique, c'est l'occasion, en jouant aux pionniers, de (re)découvrir son fils qu'il a délaissé ces dernières années. Avec un défi de taille : passer l'hiver isolés.

"Roy ne savait pas quoi dire, alors, il ne disait rien. Il ne savait pas comment les choses tourneraient."

Mais dans ce qui paraît un rêve de Robinson, des fissures se manifestent bien vite. La première partie (focalisation interne : Roy) décrit les doutes qui s'insinuent dans l'esprit du garçon, et une angoisse sourde qui monte, doublant une solitude immense. Il découvre lui aussi son père, sa fragilité, sa lâcheté, sous un jour pas nécessairement rassurant, alors que les jours du grand Nord raccourcissent de plus en plus et qu'il devient le soutien de son père. La deuxième partie (focalisation interne : Jim) est celle d'une véritable descente aux enfers.

"Son père le regardait, mais Roy ne savait pas comment discuter avec lui sur ce ton. Ouais, fit-il, mais il ne voyait pas. Il ne comprenait pas ce que racontait son père, ni pourquoi il parlait ainsi. Et si les choses ne se passaient pas comme son père disait qu'elles allaient se passer ? Que feraient-ils alors ?"

Incroyablement prenant - on peut presque parler de suspense tant la pression se développe, Sukkwan Island distille son venin, et interroge avec finesse les troubles de l'adolescence et de l'âge adulte, vu au prisme d'une relation père-fils difficile et introuvable, au travers d'une écriture des grands espaces et des sublimes paysages d'Alaska, sauvages, beaux et effrayants, une écriture sensible et simple, très noire mais magnifique.

Commentaires

  1. La seconde partie est peut-être un peu longue, ou moins bien maîtrisée – il s’agit d’un premier roman – car il y a des répétitions ou redites, mais néanmoins il s’agit d’un livre très fort et qui marque les esprits.

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  2. C'est vrai qu'il est bouleversant ! Les deux parties se répondent en miroir, dans une construction que j'ai trouvé vraiment très bonne (mais difficile de révéler quoi que ce soit de la 2e partie !)

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