Sauvage, Nina Bouraoui

"Et parfois ça me dérange, ou ça me fatigue, de me dire que Sami n'existe que par moi, parce que ça m'oblige à exister, à garder les yeux bien ouverts, à m'inscrire dans le monde alors que bien souvent j'aimerais m'en soustraire, prendre la fuite, à mon tour."

Mon avant-dernière lecture dans le cadre du Prix France Océans, Sauvage est l'histoire d'une absence et d'une métamorphose. La disparition, c'est celle de Sami. La transformation, celle d'Alya, une adolescente algéroise confrontée à la perte de son ami, au seuil de l'année 1980. Son adolescence à fleur de peau, entre deuil et force de vie, doutes et questionnements métaphysiques, spiritisme et rationalité, est rendue par un long monologue intérieur ininterrompu, au rythme décalé et saccadé, qui passe par des métaphores puissantes et inédites (voir par exemple la scène de la noyade).

"Et même si ma vie a changé depuis la disparition de Sami, je dois rester là, sous le ciel et non dans le ciel, sur la terre et non dans la terre. C'est obligé, c'est un devoir et c'est un honneur aussi, parce que ça veut dire que je suis plus forte que la peur. Que j'ai réussi à me sauver de moi-même, c'est-à-dire de la mélancolie qui tombe comme la pluie sur mon visage, parfois."

Encore une fois, Nina Bouraoui réussit à secouer le lecteur et à l'interroger dans le tréfonds de son être. La lecture peut plaire ou ne pas plaire, mais elle laisse difficilement indifférent, tant on touche là à l'intime. Le style de l'auteure ne m'avait pas accroché lors d'une précédente lecture (ancienne il est vrai), mais ici, derrière le caractère spécial de la narration, on est soufflé par la vivacité, l'énergie de cette écriture qui convoque les sens, et la justesse des propos sur le deuil. Très belle abstraction.

"Il y a tant de personnes à rencontrer, il y a si peu de personnes que l'on aime vraiment, c'est-à-dire à qui on pourrait confier sa vie."

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