Un héros très discret, Jean-François Deniau

"Comment un homme a réussi à s'inventer une autre vie que la sienne, plus belle, plus haute, voilà ce que j'ai entrepris de raconter."

Un zeste d'emploi du temps (pour la tromperie) et d'Un traître (pour le personnage trouble), Un héros très discret dessine le parcours hors du commun d'un type brillant et banal à la fois. Enfermé dans une existence sans intérêt, Abert Dehousse, un soir, saute dans un train. Il a saisi une occasion. Pour beaucoup, comme Joanovici qu'il croise d'ailleurs, ça a été la guerre - pour lui, ce sera la Libération. Il aurait pu, comme tant d'autres, être un héros.

"Il préfère ignorer qu'il tentait de vendre des textiles aux collectivités, pendant que d'autres prenaient de tels risques et mouraient fusillés dans les fossés des forts. Il n'a d'yeux que pour les survivants. Des inconnus qui n'étaient rien, et qui sont tout."

Il se fait dès lors le mortier et le pilon de son propre personnage. Avec une habileté et une duplicité confondantes, Albert Dehousse parvient, au travers d'une stratégie imparable, à se hisser aux sommets de la hiérarchie des autorités militaires d'occupation en Allemagne. L'histoire de cette irrésistible ascension fascine autant qu'elle questionne. Mélange de sous-entendus et de demi-mensonges, le style Dehousse renvoie aux autres ce qu'ils veulent voir - et il a toujours une pirouette pour se tirer des mauvais pas. "Ce qui ne veut rien dire, laisse entendre beaucoup, sans être un mensonge. La technique Dehousse".

Le roman, construit sur le lien entre vérité et mystification, joue sans cesse sur l'ambiguïté du personnage et de son destin. Les qualités littéraires de l'écriture se conjuguent avec l'intérêt de la réflexion sur le vrai, le vraisemblable et l'invention. Génial escroc, brillant imposteur, le personnage élaboré par Deniau n'en demeure pas moins attachant par son désir de réussir sa vie. Simple, efficace, et passionnant J'ai hâte de découvrir le film (son premier) qu'Audiard en a tiré.

"Quand une mécanique est lancée, même à partir d'un mensonge, rien ne peut l'arrêter. Très vite les acteurs, hommes et femmes, pris par le mouvement, sont dépassés. La vérité n'a plus d'importance : c'est seulement la vraisemblance au départ qui comptait."


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