Rêves oubliés, Léonor de Récondo

"Mais comment partir sans se faire tuer ? Un léger rire secoue ses épaules, il n'avait jamais imaginé se poser un jour une telle question. Et pourtant, cette réalité est bien là." Un jour, en effet, il faut partir précipitamment, quitte à laisser un gâteau d'anniversaire sur la table, pour ne pas laisser la vie dans une Espagne dont les Républicains sont en train de perdre la guerre. C'est ce que font Aita, Ama, leurs trois enfants et les grands parents, en traversant en trombe la Bidassoa qui sépare les pays basques espagnol et français, jalon inexorable de la route de l'exil que suivront tant de leurs compatriotes.

"Ecrire pour ne pas oublier que Barcelone vient de tomber, que la guerre est finie pour nous et que l'Espagne s'éloigne." Pour tenir, à sa façon, la mère, Ama, tient un journal irrégulier où elle consigne ses rêves, ceux-là même qui s'oublient dans les cheminements de leur migration forcée. La maison de Melle Eglantine, puis la ferme landaise, deviennent les points d'appui d'une famille déracinée aux membres attachants. Ama en Mère Courage étonnée mais jamais amère, Aïta obstiné à être heureux, les trois garçons - pour qui le bonheur d'être ensemble est le seul trésor restant. Rien pourtant ne remplace la terre perdue, omniprésente ("là-bas", "en face", "de l'autre côté", "au-delà"), non substituable, comme un vide autour duquel s'organise désormais leurs existences.

"Aïta a la force du présent. Il déracine d'un coup de pioche les mauvaises herbes et le passé. Rien de tout cela n'existe. Les instants se nouent les uns aux autres jusqu'à ce que le fil s'épuise."

Entre les lignes d'une écriture à la simplicité maîtrisée, c'est un tableau sombre et mélancolique que peint Léonor de Récondo, par ailleurs violoniste. La progression du récit n'est d'ailleurs pas sans évoquer un subtil crescendo, voguant vers l'inexorable issue. Vite lu, Rêves oubliés n'en imprime pas moins une trace durable, ce qui en faut une belle découverte dans le cadre de la sélection du prix France Océans. 

"Finalement, je préfèrerais que rien ne nous attache à ici. Je veux bien y vivre le temps qu'il faudra, y mourir aussi s'il le faut, mais pas m'y attacher."

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