Notre-Dame du Nil, Scholastique Mukasonga

Depuis ma découverte fortuite des bouquins d'Hatzfeld (Une saison de machettes, La stratégie des antilopes) dans les rayons de la fantastique librairie Le Bleuet à Banon, la question du génocide rwandais me passionne. Fortement marquée par cette enquête troublante, j'ai poursuivi cette recherche par d'autres lectures (Murambi, le livre des ossements). C'est pourquoi la parution de Notre-Dame du Nil, dont l'auteure, Scholastique Mukasonga, est évoquée à plusieurs reprises chez Hatzfeld, m'a d'emblée interpellée.

"Il 'y a pas de meilleur lycée que le lycée Notre-Dame-du-Nil. Il n'y en a pas de plu haut non plus. 2500 mètres, annoncent fièrement les professeurs blancs. 2493, corrige soeur Lydwine, la professeur de géographie. "On est si près du ciel", murmure la mère supérieure en joignant les mains."

N'entre pas qui veut au lycée de Notre-Dame-du-Nil, une insitution gérée par des soeurs belges qui envisagent de former la future élite féminine rwandaise, et pour cela recrutent les filles des hommes influents, essentiellement Hutus, avec un petit quota de filles Tutsies. Situé sur la crête Congo-Nil, au fin fond du Rwanda, le lycée n'est pourtant pas préservé des enjeux qui animent la vie politique et sociale du pays.

"Mais nous, qu'est-ce que nous allons deenir ? Un diplôme tutsi, ce n'est pas comme un diplôme hutu. Ce n'est pas un vrai diplôme. Le diplôme, c'est ta carte d'identité. S'il y a dessus Tutsi, tu ne trouveras jamais de travail, même pas chez les Blancs. C'est le quota."

Sur la base d'une discrimination existante, se développent progressivement la suspicion et bientôt la haine, et, avec l'arrivée de la saison des pluies, les tensions vont croissantes entre les deux communautés, sous la houlette de Gloriosa, fille de ministre Hutu et apprentie idéologue qui attise et même parfois est à l'origine d'une violence latente insupportable, et d'autant plus cruelle qu'elle est le fait d'adolescentes, évoluant sous le regard des adultes impuissants et lâches.

"Quand les tueurs se jetteront sur nous, certains iront : en Afrique, ça a toujours été comme ça, des tueries de sauvages auxquelles il n'y a rien à comprendre et, même si certains se cloîtrent dans leur chambre pour pleurer, leurs larmes ne nous sauveront pas."

Tout y est : le contexte post-colonial, la fabrique des identités, l'inertie coupables des Européens, la folie et le cauchemar des massacres dont l'horreur est seulement suggérée (mais avec quelle force), la lucidité et le cynisme. Avec la justesse de son ton criant de vérité, la clarté de son propos, son écriture limpide et toute en finesse rendant compte des hésitations adolescentes avec talent, Notre-Dame-du-Nil questionne notre humanité profonde, et s'impose comme un roman essentiel, à portée universelle, bouleversant de bout en bout.

De très loin ma lecture préférée, à ce jour, de la sélection du Prix France Océans.

"Maintenant, j'en suis certaine, il y a un monstre qui sommeille en chaque homme : au Rwanda, je ne sais qui l'a réveillé."

Commentaires

  1. Bonjour,
    Je n'avais pu finir "Une saison de machettes", essai passionnant, mais pour moi, insoutenable de réalité. Je note donc ce titre, la fiction me permettra peut-être de mieux comprendre les mécanismes qui ont mené à cet impensable déchainement.
    Et quelle chance de pouvoir s'approvisionner au "Bleuet", librairie extraordinaire que j'avais découverte lors d'un séjour trop bref dans la région de Banon ...

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  2. Le roman met effectivement davantage à distance, ce qui n'ôte rien à la portée du propos ; j'ai lu qu'il s'agissait du premier roman de Mukasonga, survivante du génocide, qui jusque l avait plutôt écrit des essais et des témoignages. Quant au Bleuet, c'est pas tout près de chez moi, mais je ne peux pas résister à la tentation lorsque je passe dans les parages : c'est une telle caverne d'Ali Baba !

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  3. J'ai beaucoup aimé ce livre qui nous fait vivre pas à pas la mécanique infernale de la montée de la haine et de la discrimination, d'autant plus qu'il nous avait été présenté par un ami rwandais lors d'une soirée littéraire...terrible.

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    1. En effet bouleversant ! Avez-vous lu d'autres écrits de S. Mukasonga ?

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