Deux dans Berlin, Birkefeld et Hachmeister


"Elle était toujours avec lui, un reproche vivant, quotidien. "Que fais-tu à l'Est ? Il n'y a aucune excuse".
Deux personnages (les deux du titre, par opposition au Seul dans Berlin de Fallada) touchants dans leurs certitudes ébranlées. Haas est un ancien épicier, miraculé du camp de Buchenwald qui a fortement remis en question son adhésion au régime ; il poursuit dans la capitale allemande ses anciens voisins pour comprendre qui l'a dénoncé et pourquoi sa famille a péri dans un bombardement alors que tous les autres habitants de l'immeuble ont survécu. Kalterer est un policier, qui a participé aux opérations de nettoyage de l'arrière du front de l'Est (vraisemblablement parmi les sinistres Einsatzgruppen) que sa femme a quitté en lui reprochant son implication dans les massacres et dans la guerre ; Kalterer est chargé par la SS de l'enquête sur les meurtres que commet Haas.

Ces deux-là se poursuivent sur le fond apocalyptique du chaos berlinois du printemps 1945, dans une ambiance d'effondrement du grand Reich au sein duquel les Nazis se sentaient encore, il y peu "si jeunes, si invincibles" ; un pays et une population "qui marchent encore en rangs" mais plus pour très longtemps. L'empire sombre, et c'est dans sa capitale exsangue qu'il agonise au son des incessantes sirènes d'alerte, la ville dévastée et martyre constituant un personnage en soi de ce roman historique réussi, abordant une face méconnue en France du second conflit mondial. "C'était le coup de grâce. Berlin ne s'en relèverait jamais".

"Les rats intelligents quittaient le navire en premier".
Les Allemands, projetés avec finesse dans la grande diversité des attitudes face au régime (fanatisme, cynisme, déception, opposition), dégrisent entre deux bombardements alliés, dont la fréquence, la durée et la violence augmentent au fil du récit - voir la terrifiante scène d'attaque aérienne vécue dans la cave du café (à ma connaissance thème rarement abordé). "Ils étaient tous complices, embringués dans cette histoire. Ceux qui s'étaient laissés entraîner, puis les carriéristes, les idiots enfin. Ils avaient des taches de boue sur la veste blanche de leur uniforme de parade". L'ambiance est clairement à la fin de règne dans une Berlin de gravats, méconnaissable, où tous perdent leurs repères, et errent, hagards, même si l'aveuglement perdure tant les rouages de l'Etat nazi fonctionnent encore avec une absurde exactitude alors même que tout s'écroule autour de lui. "Quelle folie ! La guerre était perdue depuis longtemps, et on continuait à faire semblant".

Quoique l'intrigue policière soit crédible et que la course-poursuite tienne parfaitement la route, l'intérêt de ce très bon bouquin débusqué dans une critique de l'Obs est ailleurs. Plus qu'un polar, il s'agit d'un précieux récit sur les dernières heures de Berlin progressivement anéanti sous les tapis des bombes alliées et des tirs d'artillerie russes, les conditions de vie à la fin de la guerre et l'état d'esprit de la population allemande, avec, en filigrane, les évolutions à venir de l'après-guerre (reconversion réussie des anciens nazis les mieux organisés, bien évoquée par Philipp Kerr dans les suites de sa Trilogie berlinoise).

Un petit pas de plus dans la réalisation de mon Objectif Lune.

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