Le retour de Jim Lamar, Lionel Salaün


"Y'a quand même une chose que tu dois savoir. Y'a trois sortes de gars qui sont revenus de là-bas : les vivants, les morts, et les morts-vivants ! Et quelque chose me dit que Jim Lamar fait partie de la troisième catégorie ..."

D'où revient Jim Lamar ? De l'antichambre de l'enfer, c'est-à-dire du Vietnam, une guerre à laquelle il a survécu, mais qui l'a prématurément vieilli et l'a transformé, presque marqué au fer rouge, différant de plusieurs années son retour. "Jimmy avait vécu des évènements dont personne n'avait la moindre idée, traversé un océan de feu où beaucoup s'étaient abîmés, côtoyé des destins liés à celui de la Nation, forgé ses convictions sur l'enclume de la guerre, de la détresse, et de la fraternité."

Où rentre-t-il ? A Stanford, Missouri, un village d'agriculteurs auprès du Mississippi, "fabuleux serpent nourricier louvoyant à travers ce vaste continent", celui de ses parents, morts de chagrin de l'avoir trop attendu ... et il n'y est pas le bienvenu, faisait même l'objet d'une certaine hostilité dans ce chez-lui qui lui est devenu étranger. "Je ne sais pas ce qu'il en est aujourd'hui, mais à Stanford, à l'époque, on n'aimait pas bien les étrangers".

Au coeur du récit, l'amitié. Celle de Jim pour ses camarades, morts au combats."Aucun de nous deux ne savait qui était l'autre, d'où il venait, comment il avait vécu. Et pourtant, à l'instant même où je suis entré sous la tente, où une bonne partie des types dont j'allais partager la vie des mois durant se trouvaient réunis, mes yeux ont rencontré ceux de Butch, et l'affaire était bouclée". Entre ceux-là, de jeunes Américains moyens sans histoire, c'est une fraternité indissoluble, forgée à l'épreuve du feu, dans les liens émouvants de la peur et de la confiance, au sein d'un conflit dont les enjeux les dépassent largement, au-delà des barrières sociales et des interdits.

Celle enfin qu'il noue avec le narrateur, un adolescent à la croisée des chemins, à l'heure de la perte des illusions de chacun. "Jim Lamar m'observait en se frottant les mains avec un drôle d'air. Il semblait hésiter entre la nécessité de poursuivre et celle, je crois, de couper là, de s'en tirer par une pirouette". Bientôt, ces deux-là s'apprivoisent, et tissent les liens d'une complicité solide.

Avec une écriture qui aborde par vagues successives et lentes l'expérience irréductible de Jim au travers de sa relation avec le jeune Dennis, Lionel Salaün réussit un beau (premier) roman initiatique, touchant et efficace.

"Or ce que je lisais dans les yeux de Jimmy n'avait rien à voir avec  le sentiment que j'avais expérimenté. C'était quelque chose d'autre, quelque chose de poisseux, quelque chose qui fait mal, qui fait honte, que rien n'efface jamais. Et pourtant cette chose que je ne parvenais pas à identifier, Jimmy me l'avait laissé entrevoir avant, comme accablé par le poids de ce terrible aveu, de passer une main dans mes cheveux, et de lâcher, grave, presque douloureux : Si on allait faire un tour ?"

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