Murambi, le livre des ossements, Boubacar Boris Diop

"Si jamais le Rwanda avait été ce lieu paisible et lumineux où le dieu Imana venait se reposer après chaque coucher de soleil, il avait cessé de l'être depuis longtemps en 1998 : la mort continuait à rôder partout, l'odeur des corps en décomposition prenait toujours à la gorge, et les survivants n'avaient pas encore émergé de leur longue sidération".

Dans une prose claire et précise, Boubacar Boris Diop revient sur le génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda au printemps 1994. Pendant cent jours, les interminables massacres, encouragés par la propagande haineuse et incendiaire de radio Mille Collines, près d'un million de Tutsis trouveront la mort."Après une histoire pareille, tout le monde est, de toute façon, un peu mort".

Murambi, c'est ce lieu sinistre (aujourd'hui transformé en mémorial) où, le 21 avril, après avoir trouvé refuge dans une école technique en construction, 45 000 Tutsis sont massacrés par les milices Interahamwe.

Un livre "avant-après" comme je les appelle, bouleversant, et qui questionne le lecteur dans son humanité même. Dans un style très différent des enquêtes philosophico-journalistes de l'excellent Jean Hatzfeld (Une saison de machettes, La stratégie des antilopes). Avec une étonnante économie de mots, Boubacar Boris Diop construit le récit nécessairement éclaté des voix multiples du génocide, et parvient à en soulever brillamment tous les enjeux moraux.

Comment comprendre l'irréductible spécificité du génocide rwandais ? Quel rôle douteux ont joué les troupes françaises de l'opération Turquoise ? Comment pardonner aux bourreaux et vivre à leurs côtés ? Comment vivre après le génocide rwandais ? "Il voulait dire à la jeune femme en noir - comme plus tard aux enfants de Zakya, que les morts de Murambi font des rêves, eux aussi, et que leur plus ardent désir est la résurrection des vivants". Pourquoi l"indifférence occidentale ? ("Ne t'en fais pas Sera. Ils savent que le monde entier les observe, ils ne pourront rien faire").

Dans une passionnante postface enfin, Boubacar Boris Diop évoque les circonstances de l'écriture de Murambi, et s'interroge sur ce que signifier écrire un roman sur le génocide rwandais. C'est une expérience qui découle d'une résidence d'auteurs au Rwanda en 1998, "Rwanda : écrire par devoir de mémoire", rassemblant pendant trois mois plusieurs écrivains africains dans un hôtel de Kigali. Loin de "jouer les pleureuses de la vingt-cinquième heure", chacun en retire une expérience singulière, débouchant sur la production de plusieurs romans (La Phalène des collines de Koulsy Lamko, le Cavalier et son ombre de B.B. Diop, Murekatete de Monique Ilboudo), parmi lesquels Murambi. Dans cette postface, l'auteur donne sens à son oeuvre, autour d'une réflexion fondamentale sur l'écriture et l'engagement.

"Encore une preuve, s'il en était besoin, de la quasi-impossibilité de sortir indemne de l'expérience rwandaise".

Une lecture qui fait avancer mes bonnes résolutions 2012.

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