Le myrte et la rose, Annie Messina


L’incipit : « Seigneur ! Prince excellentissime ! Rempart de l’Islam ! Champion des croyants ! Que vaut à ton très humble esclave l’honneur de ta visite ? »

Comment en suis-je arrivée là ? Après une petite pause dans mon mois italien, consacrée à la lecture d’une excellente BD prêtée par mon collègue de lettres : Menaces sur l’empire, de Pierre Veys et Nicolas Barral, une satire désopilante de Blake et Mortimer ; une satire drôlissime donc, où les références à la série originale sont légion, et finalement pas si irrévencieuses que cela – pour vous donner un petit aperçu, sachez que dans Menaces sur l’empire, les gangsters sont abonnés à Modes et travaux ; mettre de l’ail dans un plat est sacrilège ; Winston Churchill se conduit fort mal ; Olrik fait sécher ses costumes ; le capitaine Crochet est de retour (by Jove !) ; on ne sait plus bien où commence le MI5 et où finit le MI6 ; et la passion des petits trains de Blake cache quelque chose (et vous voudriez bien savoir quoi !).

Après cette parenthèse trop longue, et pour en revenir à nos moutons, j’ai découvert Le myrte et la rose en flânant, très banalement, dans une (bonne) librairie. Par ailleurs j’aime bien l’éditrice (Viviane Hamy). Et en outre, je suis sensible aux jolis titres(qui renvoie à la symbolique des deux plantes : beauté, force et virilité pour le myrte ; jeunesse et pureté pour la rose - merci François pour la photo de myrte)

Et puis ce livre a une histoire. Il est publié incognito par une dame d’un âge respectable, qui emprunte un pseudo aux consonances arabes (Gamila Ghâli), afin d’éviter de bénéficier de la « publicité » que lui aurait value sa parenté avec Maria Messina (encore une auteur sicilienne !)

De quoi s’agit-il ? Le seigneur Hamid en Ghâzi s’éprend d’un jeune garçon, entre l’enfance et l’adolescence, que son marchand d’esclaves s’apprête à châtrer. Il l’emmène dans son palais, et le jeune homme, qu’il surnomme Shahin (le faucon), prend au fil des années une place bien plus importante que celle d’un esclave. Leur relation, complexe et ambiguë, ne tarde pas à éveiller les jalousies haineuses.

La citation : « Il l’observait à la dérobée, savourait le spectacle de cette splendide adolescence. Il se demandait quel homme deviendrait son petit faucon, quel destin l’attendrait le jour où il gagnerait son indépendance, ce jour qui viendrait qu’il le voulût ou non. Pourtant, même dans ces moments-là, un inquiétude lancinante lui faisait pressentir que ce bel enfant si épanoui ne passerait pas le seuil de l’âge viril » (p. 122)

Ce que j’en ai pensé : Un talent incroyable de conteuse ; on est d’emblée sous le charme élégant du récit, de sa magie très « Mille et Une nuits », de sa délicatesse ouvragée comme une arabesque – on a peine à penser que le roman est italien … et contemporain. Mais est-ce bien surprenant quand on connaît l’histoire d’Annie Messina, qui a longtemps vécu en Egypte … et plus encore celle de la Sicile et de ses métissages multiples ?

Le parti pris poétique et finalement un peu distant fait l’originalité de l’écriture. Le trouble que le jeune Shahin exerce sur le seigneur en est d’autant plus perceptible, ouvrant sur une quête qui se résume à la recherche de l’absolu. Une histoire d’amour superbe, au-delà de la morale. C’est rudement beau …

Paru en 1982 (Il Mirto e la Rosa) – en poche chez Viviane Hamy, collection « Bis » – 182 pages.

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