La Tante marquise, Simonetta Agnello Hornby

Où les murs de Palerme racontent son histoire, des Grecs aux Anjous en passant par les Normands et les Arabes ;

Où les roux ne sont pas vus d’un très bon œil ;

Où le confesseur de la famille Safamita a six doigts de pieds (et c’est un détail déterminant) ;

Où tout est révélé (mais trop tard).


L’incipit

« Amalia avait fini de faire avaler à Pinuzza sa bouillie de pain sec et de lait de chèvre. »

Comment en suis-je arrivée là ?

Après avoir lu (et adoré) son premier roman, L’Amandière.

De quoi s’agit-il ?

Après de nombreuses fausses couches et la naissance d’un fils, la baronne Safamita met au monde une petite fille longtemps désirée, Costanza. Mais l’enfant est rousse, et sa mère se détourne inexplicablement d’elle, laissant sa nourrice Amalia l’élever. C’est Amalia d’ailleurs, qui raconte, bien des années plus tard, la vie de cette jeune femme pas comme les autres, qui cherche difficilement à trouver sa place dans sa famille et dans une société sicilienne en pleine transformation au tournant des années 1860.

La citation

« On détruit les monastères, les bâtiments, on éventre des quartiers. Peu importe si l’eau manque, si les égouts sont rudimentaires ou inexistants, si le peuple vit dans des taudis et meurt de faim et de maladie : les Palermitains veulent un nouveau théâtre lyrique grandiose. Toujours plus belle et plus abjecte, jamais Palerme ne s’est révélée aussi magnifique et satisfaite d’avoir conservé son identité de ville supérieurement courtisane. La sensualité transpire même des pierres ». (p. 317)

Ce que j’en ai pensé :

L’histoire de l’Italie dans les années suivant l’unification est un sujet finalement très central de la littérature italienne du XXe siècle, comme je m’en aperçois à nouveau. En ce sens, La tante marquise peut évoquer des romans comme Le bâtard de Palerme ou encore le fameux Guépard pour ne citer qu’eux – trois romans d’ailleurs qui ont pour cadre la Sicile – et du reste Simonetta Agnello Hornby est descendante d’une des grandes familles de Sicile.

Sur le plan du récit, il est certain que Simonetta Agnello Hornby sait raconter une histoire. On se laisse sans peine embarquer dans la biographie de Costanza et dans les histoires de famille d’une noblesse sicilienne qui vit ses dernières heures de gloire, entre l’unification et l’enracinement de la mafia, dont les mécanismes sont d’ailleurs très bien démontés, notamment dans leur articulation avec la vie politique émergente.

Le tableau historique est réaliste, et captivant ; il brosse avec talent le portrait d’une société complexe, structurée par des codes, construits sur une série d’oppositions binaires : le monde des hommes et celui des femmes ; le monde des enfants légitimes et celui des bâtards ; le monde des maîtres et celui des serviteurs ; le monde des riches et celui des pauvres. Mais c’est aussi le récit de son bouleversement, du passage du vieux monde au nouveau monde, qui accompagne le parcours intérieur de la marquise, laquelle suit son propre chemin d’initiation.

Sur le plan du style : plaisant, quoique pas spécialement innovant, malgré une attention spéciale portée aux sens, avec une écriture presque charnelle. J’ai trouvé que cela traînait parfois en longueur, que le roman perdait un peu son rythme, qu’il retrouve pourtant vers le dernier tiers.

J’ai toutefois préféré son précédent roman, L’Amandière, lu en quelques heures tant il est captivant, étonnant et rondement mené (c’est même quasiment un polar). La Tante marquise reprend certains de ses « ingrédients » (la Sicile, une femme, les rivalités familiales), mais c’est finalement un roman plus « intime », plus personnel. En effet, la « tante marquise » a bel et bien existé, c’est une aïeule de l’auteur ;

Il n’en reste pas moins que c’est une lecture très agréable, instructive, et qui construit, qui plus est, un beau portrait de femme, avec cette Costanza différente, rebelle, excentrique mais follement attachante, qui veut coûte que coûte construire sa liberté.

Paru en italien en 2004 (La zia marchesa) – en poche chez Points, 7.50 euros – 427 pages.


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