Un Don, Toni Morrison


Bon alors ça y est, je me lance, même si j'ai été la plus cancre de nous tous pour ce premier défi lecture ! J'ai manqué considérablement de discipline ... Je suis totalement hors délai, et je ne vais pas me chercher d'excuses comme celle de mes chers élèves (quoi ? l'ordinateur a encore lâché ?), bref, j'ai été débordée, alors que j'ai fini le bouquin depuis un moment. Mais quand même j'ai eu pas mal de boulot ces temps-ci (et notamment mon nouveau programme !). Mais là n'est pas le sujet, revenons à nos moutons, ou plutôt à nos colons.


Tout d'abord, pourquoi "Un don" ? Parce que Toni Morrison est une auteur que j'aime énormément. J'ai eu l'occasion de la découvrir en prépa, et c'est à cette période que j'ai lu ses grands romans. Celui-ci est le dernier traduit en français.

Ca commence comme ça : "N'aie pas peur. Mon récit ne peut pas te faire de mal malgré ce que j'ai fait et je promets de rester calmement étendue dans le noir - je pleurerai peut-être, oui je verrai parfois à nouveau le sang - mais je ne déploierai plus jamais mes membres avant de me dresser et de montrer les dents".

Alors de quoi ça cause ? Nous sommes en Amérique, au 17e siècle. Le roman s'ouvre sur le monologue de Florens, une jeune noire anciennement esclave, recueillie par Jacob et Rebekka, deux Blancs sous le toit desquels vivent également Sorrow, une jeune fille blanche, et Lina, une Indienne rescapée de l'épidémie qui a décimé sa tribu. L'histoire, enchevêtrée, reconstitue les destins de ces personnages.

J'ai un avis mitigé sur le bouquin, ou plutôt je suis partagée. J'ai aimé l'évocation de ce cadre très peu familier des débuts de la colonisation américaine, au cœur d'une terre rude et dans des conditions proches de la misère (mortalité infantile, épidémies) où les inégalités sont criantes (voire l'opulence écoeurante dans laquelle vit le planteur duquel Jacob reçoit Florens), mais où se construit progressivement le mythe de l'Amérique et de l'Américain qui se "fait" lui-même, avec un enthousiasme déroutant et parfois aveugle. C'est assez inhabituel, et je ne crois pas avoir lu d'autre roman qui situe son action dans un décor comparable. J’ai d’ailleurs appris plein de choses, comme le travail de ces Blancs enfermés dans un quasi-esclavage interminable pour rembourser le prix de leur traversée, la dette se transférant sur leurs enfants en cas de décès.


Esclaves dansant au son du banjo. Illustration tirée de The Old Plantation, vers 1790

Ce qui permet à Morrison de travailler sur son thème de prédilection, les logiques de la ségrégation et les mécanismes de sa mise en place et de son fonctionnement ; tout ici est suggéré, mais reste percutant, comme cette lecture des annonces pages 65-66 : « Belle femme qui a déjà eu la variole et la rougeole … Beau négrillon d’environ neuf ans … Fille ou femme bonne en cuisine, raisonnable, parlant bien anglais, à la peau entre le jaune et le noir … Cinq années de service d’une engagée blanche qui connaît les travaux de la terre, avec enfant de deux ans passés … Mulâtre très marqué par la variole, honnête et sobre … ».

Par ailleurs, j'ai beaucoup accroché (plus que Vincent) au côté construit / déconstruit du récit ; on dirait que Toni Morrison travaille un peu comme un Léonard de Vinci avec son sfumato ; elle applique des couches successives à ses personnages qui prennent progressivement un relief incroyable (Florens, Lina, Rebekka ... ou même la mère de Florens). Et je rejoins Danielle sur ce point, les portraits de femme sont splendides, des femmes sans résignation et avec un instinct de vie époustouflant d'énergie et de grandeur.

Le titre – original – est splendide, mais assez mal traduit en français … il faudrait davantage tourner autour de l’idée de pitié. Il ne prend son sens qu’à la fin, et éclaire rétrospectivement le sens du livre.

Pourtant, je trouve que certaines pistes auraient pu être plus exploitées, comme le pense aussi Cathy. Par exemple la relation ambigue de Jacob à l’esclavage, et le fait qu’il ait reçu Florens en paiement. Ou encore les relations entre les femmes. C’est peut-être dû à la longueur effectivement assez courte du livre, alors que Toni Morrison écrit d’ordinaire dans des formats différents …

… et ceux qui n’ont pas trop accroché à Un Don peuvent tenter d’autres Morrison, comme L’œil le plus bleu ou Le chant de Salomon, ou, mieux encore, mon préféré, Beloved. Danielle, tu me diras ce que tu as pensé, mais personnellement, je trouve que – pour un propos au fond équivalent – Beloved est beaucoup plus puissant qu’Un Don.

En ce qui concerne le principe de notre « club » de lecture, je suis assez séduite … malgré les petits ajustements de départ, je trouve le principe assez chouette, d’autant que nous avons des profils assez différents et que nous n’avons pas tous été d’accord sur le bouquin, et c’est très enrichissant … je me rends compte que j’ai énormément parlé de mes lectures ces temps-ci, et ça fait du bien de partager, de communiquer, et d’échanger ! Bref : à quand le prochain ? Je propose que ce soit l’un d’entre vous qui propose cette fois un titre, si vous êtes partants, bien sûr ! Pourquoi pas Danielle ?

Paru en américain en 2008 (A Mercy) - en poche chez Points, 6.65 euros - 192 pages.

Commentaires

  1. Je vais bientôt le lire car j'en entends beaucoup parler. Il a l'air passionnant.

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  2. Personnellement j'aime beaucoup Toni Morrison que j'ai découverte en prépa et qui m'a fait une sorte de "choc" littéraire. Tu as déjà lu certains de ses romans ?

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  3. J'ai bientôt fini le cerveau de Kennedy et je pense donc a la suite pour le mois de septembre. Cela fait un petit moment que j'en parle a Madeline, j'aurai bien aime lire de la SF. Je sais pas ce que tu en penses mais je lance un theme, a toi de voir si tu as des propositions a nous faire...

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  4. Bravo Vincent, je suis triste de ne pas vous avoir croisé au retour de votre beau voyage snif ! Moi j'ai perdu Hiver arctique dans un train en allant à une réunion à Lyon ... alors je suis à la bourre. Sinon je suis partante pour à peu près tout, si ce n'est que la SF il y a de tout et (surtout) de n'importe quoi. J'ai une petite prédilection pour les classiques et les valeurs sûres : Asimov (délicieusement rétro), Herbert (Dune, je ne sais plus si tu les as lus), Ph.K. Dick (Blade runner par exemple) ... tu as une idée précise en tête ?

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